Dans le corps, aucun indice pour révéler la fin de l’année. Un jour comme les autres. Je sens seulement la détente des vacances, et le calme de la ville contamine mon apaisement. Par la pensée, je sais que demain l’année sera morte, à tout jamais. Spontanément, je ne suis pas plus troublé. Si je m’y arrête un peu, je devine l’émoi face au temps qui passe. L’évocation des personnes perdues, des projets en attente, les moments forts de l’année agonisante, les questions sur les mois à venir. Il est multiple, subtile, ce lien au calendrier, mêlant l’indifférence à la confrontation: je ne me sens pas concerné, je peux l’être, j’y pense quand même, sans vraiment y faire plus attention, le réveillon est là sans que j’y sois vraiment, mais il lévite aux environs. Il me faut sonder pour dire des choses précises, et elles ne sont pas harmonieuses, cohérentes, monochromes.
Pour sûr, ce n’est plus aussi net, fort et manifeste qu’avant. Je fais le lien entre l’importance qu’avait cette date du temps où j’en partageais l’anticipation et toutes les constructions symboliques avec mon entourage. Je sens le lien entre la perte de signification et l’arrêt des projections et des échanges. Depuis que je n’en fais plus activement le signe d’un passage, et que, conjointement, je n’en évoque pas les significations avec d’autres personnes, cette nuit singulière s’est fondue dans le fil continu des jours. D’ailleurs, c’est la fête des autres qui sans doute m’invite à en prendre encore un peu soin. Cela aussi, ma pensée le sait, qu’il y a des rassemblements, des rapprochements, une vie à plusieurs qui se noue autour de ce prétexte, et ça ne me laisse pas indifférent. Elle est parfois délicate cette navigation entre le besoin de repères et la liberté face aux convenances sociales, la vacuité possible de rites désagrégés, les vertus des soins qu’on leur alloue, le vécu du miroir incontournable.
C’est le lieu d’un rapport inévitable. L’inscription dans l’étendue temporelle: où suis-je aujourd’hui dans le cours de mon existence, quelles identités ont survécu, qu’est-ce que je sens de moi qui résonne avec ma mémoire? Et l’encrage momentané dans une tribu appartenance: jusqu’où va ma solitude, jusqu’à quelles intimités vont mes liens? Ces tris courants prennent ici une force particulière. Je les note de biais, explorateur de l’intime vaguement affairé, plus ou moins concentré. Je retiens ce point: moins de constructions mentales, plus de corporalité et un accès à plus de complexité subjective. Peut-être qu’aborder la vie comme un problème à résoudre empêche - évite aussi sans doute - de se coltiner la part folle, chaotique et débordante de sa nature.