Au moment où le soleil frappe mon visage, et l'air froid, cru et vif entre dans mes poumons. Avec dans le crâne l'image, ces rayons du milieu d'après-midi d'hiver, horizontales chaudes et douces qui frôlent les objets et tirent de longues ombres pâles. Je sors de la voiture, et mon corps rentre là-dedans, soleil, air. Puis silence, grand calme, comme monté des flocons de neige répandus sur le sol, ouate musicale, bourdon blanc. Ça respire un grand coup, ça soigne d'un grand tout, ça fait du ronronnement dans la gorge, tel un chat bienheureux sous les caresses d'un plus grand que soi. Rrrmmmhh. « C'est bon ». C'est bon ça, cette lumière fragile et calme, cette clarté d'atmosphère où se rumine un silence cotonneux, le saisissement de ces lignes et de ces formes qui se dessinent dans ma perception séduite, envoûtée. Je respire un grand coup. Journée spéciale. Un concert pour moi, ça pourrait être un départ, une rencontre, n'importe quel événement qui compte plus que les autres et marque le décompte des jours d'une intensité particulière. Ce soir je suis avec ma guitare et ma voix devant d'autres êtres principalement dotés d'oreilles pour l'occasion, quoique leurs voix m'intéressera aussi. C'était hier, à vrai dire, je mens en parlant au présent. Mais je dis la vérité en mentant, c'est bien connu. La rencontre fut magique (vibrante, chaude, légère, rieuse) à l'image de cette heure qui la précéda et que je nous raconte. La nature, belle de sa blanche parure, m'accorde un répit de silence, au milieu de la maladie, de la fatigue, du bruit, du manège précipité qui parvient toujours à enrouler mes journées dans sa course folle. Je viens changer d'air. C'est très réussi. Je viens décrasser la machine, réveiller l'engin, faire circuler le sang, pour être en forme ce soir. Hier soir. Quelques pas dans le sous-bois et déjà un regain de vitalité surgit de je ne sais où, m'arrive dans le cœur, la poitrine, la pensée, tout ça respirant à grandes lapées joyeuses la dure fraîcheur de l'ombre bleue où j'avance. Une sorte de bonheur tout con. Une sorte de contentement des plus imbéciles, des plus précieux. Bientôt, j'arrive là où le soleil traverse les branchages et dépose en touches délicates de somptueuses traces d'or. C'est là qu'en redescendant, je m'arrête un moment et ôte de mes oreilles la musique qui accompagne mes pas solitaires. Royaume de silence. Miroitement d'une poudre de givre tombée d'une branche, scintillant dans le contre-jour. Longues perches des arbres lancés dans l'azur, tissent un treillis blanc sur fond bleu. Immobile. Pépiement d'oiseau, deux pointes aigües, trilles en dentelles, notes suspendues. Plus rien. Grand calme. Un événement précieux ce soir, qui avait la force d'envahir trois mois de vie le précédant, et qui ne gâche plus rien, me laisse tranquille, immensément présent, la tranquillité depuis le fond de l'être, s'impose. Ô parenthèse, règne immobile. J'écoute ce silence comme le chant le plus grave. Je regarde cette nature comme la présence la plus complète. Il n'y faut rien rajouter, rien enlever, tout est là, majestueusement. Ça n'a plus peur. Et j'en profite. Et j'en fais profiter, selon toutes vraisemblables apparences. Rencontre. Quoi de mieux, sur terre ?