27 novembre 2010 6 27 /11 /novembre /2010 12:37

 

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Au moment où le soleil frappe mon visage, et l'air froid, cru et vif entre dans mes poumons. Avec dans le crâne l'image, ces rayons du milieu d'après-midi d'hiver, horizontales chaudes et douces qui frôlent les objets et tirent de longues ombres pâles. Je sors de la voiture, et mon corps rentre là-dedans, soleil, air. Puis silence, grand calme, comme monté des flocons de neige répandus sur le sol, ouate musicale, bourdon blanc. Ça respire un grand coup, ça soigne d'un grand tout, ça fait du ronronnement dans la gorge, tel un chat bienheureux sous les caresses d'un plus grand que soi. Rrrmmmhh. « C'est bon ». C'est bon ça, cette lumière fragile et calme, cette clarté d'atmosphère où se rumine un silence cotonneux, le saisissement de ces lignes et de ces formes qui se dessinent dans ma perception séduite, envoûtée. Je respire un grand coup. Journée spéciale. Un concert pour moi, ça pourrait être un départ, une rencontre, n'importe quel événement qui compte plus que les autres et marque le décompte des jours d'une intensité particulière. Ce soir je suis avec ma guitare et ma voix devant d'autres êtres principalement dotés d'oreilles pour l'occasion, quoique leurs voix m'intéressera aussi. C'était hier, à vrai dire, je mens en parlant au présent. Mais je dis la vérité en mentant, c'est bien connu. La rencontre fut magique (vibrante, chaude, légère, rieuse) à l'image de cette heure qui la précéda et que je nous raconte. La nature, belle de sa blanche parure, m'accorde un répit de silence, au milieu de la maladie, de la fatigue, du bruit, du manège précipité qui parvient toujours à enrouler mes journées dans sa course folle. Je viens changer d'air. C'est très réussi. Je viens décrasser la machine, réveiller l'engin, faire circuler le sang, pour être en forme ce soir. Hier soir. Quelques pas dans le sous-bois et déjà un regain de vitalité surgit de je ne sais où, m'arrive dans le cœur, la poitrine, la pensée, tout ça respirant à grandes lapées joyeuses la dure fraîcheur de l'ombre bleue où j'avance. Une sorte de bonheur tout con. Une sorte de contentement des plus imbéciles, des plus précieux. Bientôt, j'arrive là où le soleil traverse les branchages et dépose en touches délicates de somptueuses traces d'or. C'est là qu'en redescendant, je m'arrête un moment et ôte de mes oreilles la musique qui accompagne mes pas solitaires. Royaume de silence. Miroitement d'une poudre de givre tombée d'une branche, scintillant dans le contre-jour. Longues perches des arbres lancés dans l'azur, tissent un treillis blanc sur fond bleu. Immobile. Pépiement d'oiseau, deux pointes aigües, trilles en dentelles, notes suspendues. Plus rien. Grand calme. Un événement précieux ce soir, qui avait la force d'envahir trois mois de vie le précédant, et qui ne gâche plus rien, me laisse tranquille, immensément présent, la tranquillité depuis le fond de l'être, s'impose. Ô parenthèse, règne immobile. J'écoute ce silence comme le chant le plus grave. Je regarde cette nature comme la présence la plus complète. Il n'y faut rien rajouter, rien enlever, tout est là, majestueusement. Ça n'a plus peur. Et j'en profite. Et j'en fais profiter, selon toutes vraisemblables apparences. Rencontre. Quoi de mieux, sur terre ?

 

 

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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 11:08

 

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Souffle court, d'une lassitude à bouger sans cesse, de muscle et d'esprit, le mouvement perpétuel et sa fatigue. D'une inquiétude qui s'agrippe aux flans de ma conscience et la griffe sans cesse dans sa chute, lui plante ses griffes dans son ascension, lourd insecte au labeur sisyphien. Ça fait sans cesse. Et ça ne se repose jamais, nulle part. Quand le corps s'arrête, la tête vérifie. Et puis ça a peur, un peu, la route, les dangers, se perdre. Et puis c'est triste aussi, devant la solitude du voyage – ça se soulage en visualisant les présences qui attendent au bout de la route, la dirigent en sens et signification, car sans elles il n'y aurait nulle part où se rendre. Partir y fait toujours de la crainte et de la mélancolie, dans cette histoire qui se tisse et se raconte en moi. Et l'ensemble fait que ça voudrait chialer là, dans le bistro. Larmes de fatigue, sanglot d'épuisement, le long soupir des hommes qui n'en peuvent presque plus, qui ne tiennent plus que par un bout, s'accrochent le temps qu'il faudra. Quand ça demande au monde qu'il s'arrête, quand ça prie la Terre de suspendre sa course, au soleil d'allonger durablement son aube. Pour qu'à l'heure des températures douces où les possibles chantent joyeusement, une voix de confiance et d'abandon puisse, sereine, être portée dans l'azur. Pour que tout entier, sans rien laisser au trouble, puisse se laisser glisser dans les eaux d'une profonde et lucide torpeur ce corps, tout entier, cette âme toute entière délivrée de ce qui lui pèse. Si seulement il y avait un deuxième cerveau pour penser tout cela, un deuxième corps pour porter un bout de l'affaire, un deuxième cœur avec lequel vibrer, les forces réunies feraient moins d'inquiétude, les sangs mélangés lutteraient mieux contre les attaques de l'absence, de l'ignoble absence, où l'altérité effondrée emporte dans sa chute ce visage sans reflet. Ce regard qui voit sans être vu, ce silence au fond de l'iris – évoquent indiciblement l'ultime des absences, celle où je m'éteindrai, et semble ainsi m'éteindre déjà, systématiquement, insupportablement. Heureusement, il y aura l'instant des embrassades, la paume a serrer, la voix à entendre, la chaleur des rencontres, et cesseront alors les complaintes grinçantes de ces éprouvés, craquements de squelette et remugles d'humeurs, fragilités mises à l'épreuve du vivant.

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16 juillet 2010 5 16 /07 /juillet /2010 15:27

 

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J'irai aussi loin que possible. Laisserai m'emporter la route. Face au soleil, direction couchant. Le lointain pour destination. Et j'embarquerai toutes mes peurs, toutes mes ivresses. Tous mes manques. Mais je dénicherai au coin d'une rivière, au bord d'une jeune plage, le souffle perdu, l'immensité de l'espace et du temps, étendus en surplomb de toutes les circonstances. J'irai poser mon corps là où son enfance saura m'éveiller aux folles apparences du monde. Je veux le repos, l'arrêt, le grand néant salvateur. Je veux pour un temps ignorer tout ce qui n'est pas la feuille, le vent, la mer, le ciel, le pain et l'eau. Je veux pour un temps ignorer tout ce qui n'est pas l'expérience fondamentale de ma rencontre avec la vie. Dans son organisation première. Je veux me reposer de l'existence qu'il faut mener, pour me laisser bercer par la vie qui nous mène, de temps en temps, dans ces curieuses contrées de la vacance, d'un certain vide, d'une certaine absence qui fait beaucoup de présence. Je veux oublier les heures. N'avoir à m'inquiéter de rien. Oublier les cadrans et les horaires, accompagner le soleil dans sa course et les étoiles en leurs luminescences. Je veux renaître à celui qui n'en connaissait rien, qui n'avait pour rythme que ceux de son corps et de la lumière, ne répondait qu'à ses faims en les criant au ciel, en les murmurant à la lune, rejoindre l'immense royaume qui laisse croire que vivre est simple. Je veux que ce sanglot puisse s'étendre sur les sables d'une étendue virginale, où l'attente n'est plus, où le temps s'effondre, où se réunissent les occasions d'une délivrance. Qu'une place soit donnée à celle demandée par ce cœur si pur et si vrai, dont une brise fait le bonheur. Que ces soupirs de l'espérance douloureuse deviennent ceux d'une paix si grande qu'elle donne à pleurer. Que nous puissions retrouver l'entente originelle, celle d'avant la séparation, celle d'avant la coupure et l'ambivalence. Je vais prendre la route sans savoir et m'enfoncer dans l'horizon d'inconnu, y perdre les repères qui font des œillères, enferment les sens, pour ouvrir toutes les vannes et laisser me traverser le grand courant. Je souhaite faire la rencontre qui se fera, et n'en rien troubler par la tricherie de mes pensées, mais l'accueillir en ce qu'elle me donnera à vivre.


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6 juin 2010 7 06 /06 /juin /2010 16:57

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Sous le couvert des arbres miroitaient des milliers d'étincelles. Taches jaunes ricochant sur les feuilles d'un vert phosphorescent, dessinant une gigantesque dentelle d'ombres aux formes délicates. Et je marchais entre les gouttes de lumière l'âme pareillement lumineuse, le cœur ciselé d'ombres jouant avec leurs frontières, dansant avec le soleil qui les découpait. J'étais frappé du contraste avec la veille. La veille je ne voyais rien, même les yeux ouverts. Aujourd'hui, ma tête se lève spontanément pour capter ce qui l'entoure, elle exprime l'ouverture de mon organisme, l'humeur avenante qui me permet d'accueillir un peu de ce dehors en ce dedans. Je porte encore dans mes muscles la sensation sur laquelle semble reposer cette attitude modifiée, ce regain d'intérêt pour le monde, cette possibilité de laisser entrer en moi ce qui n'y est pas. Celle qui m'est venue lorsque j'ai eu le sentiment de maîtriser ce que je faisais et qui me permettait d'espérer vivre une situation prochaine importante dans la confiance et la sécurité, avec donc un éventuel plaisir. J'ai pu m'imaginer dominer cette circonstance à haute valeur et à haut risque, et du coup, une force s'est installée dans ma poitrine, creusant son lit jusque dans la grande mer de mon âme. Ce sentiment plein et rassurant me donnait une consistance et me protégeait de la dimension menaçante de l'événement à venir. Alors je marchais ainsi, au milieu des rayons et des jets d'ombre, caressé de courants d'airs, avec la même lenteur que la veille, cette lenteur où s'étaient décomposées mes pensées pour ne laisser place qu'aux émois bileux qui m'habitaient, mais qui aujourd'hui me permettait d'accueillir d'autres saveurs intérieures, plus lestes dans les jambes, plus ouvertes dans les yeux, plus tranquilles en l'esprit. Et tout me semblait plus léger. Spontanément. Les mêmes éléments qui la veille occupaient toute la place et faisaient un remugle en ma respiration, me sont apparus comme des obstacles surmontables, des embûches qui n'empêchaient pas ma joie présente d'exister, qui n'avaient plus prises sur les parois de mon cœur courageux. J'en viendrais à bout, et pas une ne m'empêchera de goûter à ces tranchées lumineuses qui font des ponts entre les nuits, des tunnels de clarté entre les ombres. Et la phosphorescence du monde me reviendra toujours droit au cœur comme l'offrande sublime de tous les réconforts.

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5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 19:25

 

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Lentement, à la vitesse de mon corps, j'ai marché. Mon corps s'est mis à marcher ainsi, lentement, posément, tandis que mon regard se désintéressait de tout ce qui l'entourait pour se poser sur le sol défilant. C'est l'humeur qui a dicté l'allure, sous les branches, ce sont les maux que je piétinais ainsi, lentement, comme un pied nu piétine le raisin dans les cuves. De tout le poids de mon corps, de toute la présence de mon souffle, ça prenait le temps d'avancer au rythme de l'humeur, de peser pleinement sur les corps opaques de mes maux, comme pour en faire sortir l'essence, les libérer de leur peau, les faire sortir de ma propre peau. Je suis un homme fâché, triste et anxieux, aujourd'hui. En faisant demi-tour, j'ai vu ça dans le reflet qui se dessinait dans la grande flaque de jus de raisin, épandu sur le sol comme un sang liquoreux, une bile sombre comme un tourment. Mais avant de voir cela, j'ai senti la lenteur s'éprendre de tout mon corps, imprégner chacune de mes foulées, et mes pensées s'y épuiser agréablement. La lenteur tissait du silence, accordait mon souffle et mes pas, et remplissait ma tête d'une conscience réduite à peu de choses. Ceci était bénéfique, mais la rencontre n'était pas très agréable. Il était bon de pouvoir se poser dans cette lenteur, d'y trouver le calme d'un temps suspendu, d'une attention qui a cessé de virevolter en tous sens et s'est posée sur une branche, contemplant les intériorités dans une sorte de tranquille intranquillité. Mais il n'était guère appréciable de sentir toutes les ramifications sensibles de ce que j'éprouvais, la chair intégrée de mes sentiments. Des maladies organiques aux turpitudes d'esprit, des fatigues en tous genres aux exigences redoutables, il y avait comme trop d'éléments à se coltiner avec un seul corps de solitude, il semblait y en avoir autant qu'il y avait de pierres sur ce chemin, et je n'avais ni la force ni le temps de consacrer à chacune le pas qui les eut fait murir, qui les eut transformées enfin. Il n'y avait pas beaucoup de place pour la lumière, la chaude lumière d'été, sous les arbres, pas beaucoup de place pour la légèreté d'une humeur plus bénigne, et j'aurais bien aimé pouvoir me raconter une autre histoire, mais celle que j'entendais n'était pas un mensonge. En esprit je pouvais me soulager de mille façons, en corps, là où se tramait l'unité de mon être, l'intégration en ma conscience de ces vécus peu sympathiques, en corps rien ne me soulageait sinon cette franchise, cette complétude qui m'invitait à l'accepter pour mieux la transcender. J'ai tenté un moment de regarder les feuilles, de les voir comme si je ne les avais jamais vu. J'ai posé mon regard préhistorique sur la plaine immense. J'ai tenté mon esprit aux vertiges du ciel où dansaient des hommes volants. Mais rien n'y faisait. J'avais le cœur trop lourd, trop plein, pour y accueillir encore l'extase du monde, l'émerveillement premier. Je me suis dit: « Tu vois tout en noir ». Puis d'une autre voix j'ai répondu: « Non je sens le présent clairement. » J'ai regardé la partie pleine du verre – toutes les bonnes choses qui entourent ce moment de vie – et en moi ça ne réagissait pas, ça faisait de l'indifférence, je n'y étais pas. Comment prendre soin de ce qui manque, de ce qui blesse, de ce qui néglige, si à peine commence-t-on à y faire face qu'aussitôt un mouvement se met en quête d'artifices et de pansements, de béquilles et de pilules? Comment rencontrer la vie telle qu'elle s'organise en soi, si elle n'est pas reconnue dans la plus immédiate apparence de son phénomène? Comment rendre vie à la liberté spontanée de mon être si je ne me donne pas la peine de le recevoir tel qu'il est, jusque dans ses méandres les plus irrationnels, les plus débiles, les plus destructeurs, si je ne tente pas un peu de comprendre ce que ces aspects dérangeant racontent de moi, si je ne m'évertue pas un peu à comprendre de quoi ils sont faits, sur quelles nécessités ontologiques ils se sont bâtis!? Cette marche ne m'a fournit aucune solution, elle ne m'as pas magiquement libéré de mon trouble. Mais confusément je sens qu'elle m'a fait du bien, qu'elle m'a permit de déposer un peu du limon au fond de la marre et d'y voir plus clair, de m'accorder un peu mieux. Je ne sais pas comment font les autres êtres, mais en ce qui me concerne, il n'y a qu'accordé que je commence à sentir de nouveaux mouvements prendre vie dans ma présence, presque malgré moi, il n'y a que rassemblé et compréhensif à l'égard de tout ce qui se joue en moi que je parviens à me sentir pleinement vivant.

 


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24 mai 2010 1 24 /05 /mai /2010 12:45

 

 

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Sur le retour, le soleil est bas, et je m'arrête maintes fois dans le trouble de la beauté qui m'environne. Toujours cette même impression qu'il y aurait là, dans l'image qui me sidère, qui arrête ma marche, suspend mon souffle, captive toute mon attention, qu'il y aurait une réponse, une piste. Il y a en tout cas une question. Et surtout une confusion. Car je ne saurais traduire précisément la question, encore moins la réponse. Je réalise soudainement que je ne parviens pas à mettre des mots sur ce que j'éprouve. Le trouble est trouble. Celui qui cherche incessamment à pouvoir déposer les mots les plus précis possibles sur ce qu'il ressent, soucieux de comprendre ce qu'il se passe en lui, de saisir le sens de ce qu'il éprouve, le voilà tout à fait perdu devant cette herbe qui tremble dans le vent, ces pétillements de lumière à leur surface dans le contre-jour, les ombres minuscules des cailloux sur le chemin, comme tout prend dimension, la beauté des arbres contre le ciel. Indicible. Proprement indicible. Je m'arrête. Je regarde. Je branle la tête de stupeur. Essaye de cueillir un début d'entendement dans ma poitrine confuse. Ne comprends pas. Pourtant c'est si fort. Ce vertige intérieur, cette ivresse soudaine, cette attention toute entière tournée vers une parole qu'elle ne comprend pas mais qu'elle sent adressée à son endroit. C'est si fort. Il semble y avoir là quelque-chose qui transcende toutes les valeurs, un précieux incommensurable et pourtant innommable, indéchiffrable, indescriptible. Je regarde encore, j'essaye de comprendre. Je sens cette attention qui cherche, il y a en moi une antenne, une sonde qui fouine dans le paysage une réponse. Quelle réponse? Quelle question? Que cherche-t-elle? Quelque-chose en moi croit qu'il y a là, dans la simple apparition des choses, une réponse ultime, un indice qui me fournirait la solution. A quel problème? Le problème de la vie, je crois. Ni plus ni moins. Sur ces herbes bleues qui oscillent sous les assauts du vent, je guette la réponse à l'énigme. Comme si j'allais dénicher une piste, un faisceau de sens illuminant. Une parole qui soulèverait le voile de ce trouble qui m'obsède. Et je pourrais alors, oui c'est cela, faire les bons choix. Je rentrerais chez moi en sachant. Je connaîtrais l'essentiel. Je pourrais sans le moindre doute commencer une vie claire, une vie simplifiée, rassemblée autour d'une seule évidence, cette évidence de la beauté qui fascine tout mon être, là, maintenant, devant ces manifestations impressionnantes. Je renverserais ma vie. Il n'y aurait plus d'égarement, plus d'enjeux futiles, plus d'agitation fébrile. Tout serait condensé autour d'un même noyau qui donnerait toute la signification utile et nécessaire. Quelque-chose comme ça. Presque trop de mots maintenant. Comme si ces pensées avaient dépassé ce dont il était question. C'est plus simple encore. Mais ces visions semblent pouvoir bousculer de fond en comble mon être et ma vie, jusque dans ses dimensions les plus concrètes. Bousculé, c'est bien ce que je suis, tandis que je me retourne tous les trois mètres pour regarder encore une fois ces images qui m'interpellent sans que je ne comprenne pourquoi. Tandis que ma main se précipite sur l'appareil photo pour capturer ce qui me dépasse, pour réduire au tangible d'une photographie l'éblouissement indescriptible qui me fait aveugle, tandis que je voudrais pouvoir emporter avec moi l'évidence qui court sur la colline et m'échappe à l'horizon. L'évidence de la vie. L'évidence de mon appartenance. C'est à cela que j'appartiens, réellement, à rien d'autre. En deçà de toutes mes appartenances, celle-ci fonde le socle de ma présence au monde. Rien ne me constitue plus fondamentalement que cette terre qui épouse mes pas, ces végétaux qui vivent dans le vent, ce ciel désespérant de beauté, ce soleil maître de cérémonie. C'est cette appartenance, cette conscience que je voudrais pouvoir emporter avec moi, je crois. Elle, elle fait une évidence. Je ne peux douter de cette appartenance-là. Elle s'impose à moi. Je ne l'ai pas choisie comme les autres, elle n'est pas le résultat de mes errances et de mes choix, elle est la matrice de mon possible, du possible de mon existence. J'aurais pu ne pas devenir un Homme, si l'on ne m'avait pas éduqué, j'aurais néanmoins été fils de la Terre et du Soleil. Je n'aurais pu échapper à cette condition. C'est ma maison, l'ultime maison. Je sens confusément un lien entre ces pensées et cette stupeur qui cristallise mon attention. La question et la réponse, le trouble, la parole qui s'adresse à ma présence, combien je me sens intimement concerné par leur visite, combien cela vient me toucher profondément, en des aires où la parole accède difficilement, manifestement, combien c'est mon corps qui entre en résonance avec ce qui l'entoure et moi qui n'y comprend rien, moi qui observe médusé cette danse dont je ne saisis pas le sens mais que je sens bien s'opérer dans ma chair, comme je suis arrêté dans ma marche, perturbé dans ma pensée, saisi dans ma poitrine, interpellé, pris dans un échange qui a lieu malgré moi, entre mon organisme et ce qui l'environne, si bien que je m'étonne, me questionne, me demande ce qu'il se passe. Ce pourrait être cela. La rencontre entre mon organisme et sa matrice première, dans une familiarité qui me dépasse, qui n'est pas dépendante de mon entendement, se trame entre cet animal et cette nature. Une connivence qui se noue sans la participation de ma raison, désarçonnant jusqu'à ma faculté de penser, imposant le silence de ce langage muet.

 

 

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Voici des mots que je sens fidèles à l'expérience, qui la décrive sans la dénaturer. Ils ne m'en éloignent pas comme ceux plus haut, au contraire, ils me donnent la sensation de toucher à ce qui a effectivement lieu. C'est la première fois que je parviens à les articuler. Suis touché par cette découverte. Union bouleversante, corps d'homme et corps planétaire en intelligence. J'ai le sentiment que je vivrai plus sereinement les prochaines stupeurs. Que je pourrai laisser se faire ce langage sans avoir besoin d'en comprendre davantage, sans y participer autrement que par mon abandon.


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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 14:24

Je suis donc empêché par mes exigences et pris par le soin que j’ai de protéger ma sœur. Ce que je fais et en quoi j’investis tant de mon être se tient à l’écart de la rencontre parce qu’il y a en moi une telle vulnérabilité que m’exposer sans être parfait, sans être irréprochable, inattaquable, fait une trop grande terreur pour être surmontée. Et ce que je pourrais construire de ma vie, en tant qu’être aux potentiels non ligaturés par quelque déficience mentale ou physique (ce qui est le cas de ma sœur), serait – non pas dans la réalité, mais dans l’éprouvé subjectif de mes sentiments, dans l’expérience qu’il m’est ainsi fait et à laquelle je ne peux me soustraire – ce que je pourrais construire de ma vie serait un heurt et une injustice au regard de ce qui est à sa mesure. Devenir pleinement s’accompagne d’une culpabilité – certes irrationnelle et illégitime mais non moins véritable – qui, jusque là, a empêché ce plein devenir. J’ai encore en moi, plus grand que celui d’écouter mes besoins, le souci d’être attentif à ceux de ma petite sœur handicapée. Et de les faire passer avant les miens. Au point d’ignorer encore la présence de certains d’entre eux. Cet arrangement dans lequel s’est établi l’équilibre où je peux me mouvoir sans blesser celle qui n’était que blessure, cet arrangement est devenu ma nature, mon organisation. Ainsi l’autre, tant désiré dans sa rencontre, est doublement inapprochable : je ne suis ni assez parfait pour tenir sous la pression (toute projetée) de son regard, ni assez nul pour éviter de grandir à son contact au-delà de ce que ne pourra jamais faire celle dont le sort me déchire, et duquel il faudra me dissocier.

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25 septembre 2009 5 25 /09 /septembre /2009 14:01


Tout, autour de moi, là-haut, respirait mon absence. Les herbes continueraient de trembler sous les étoiles, ces chamois surveillant ma silhouette insolite resteraient dormir à l’abri d’un sous-bois, le vent passerait encore entre les barbelés muets, tandis que je serais descendu au monde qui me semblait alors plus étrange que cet univers qui me tenait à distance. Les lumières de la ville, en contrebas, brillaient d’une pâle absurdité, les routes s’effilaient vers des nulle part insignifiants, le murmure qui montait de la civilisation faisait un bruit trouble à mes oreilles perturbées par tant de silence. Que se passait-il là-bas, de quel sens s’agitaient les mouvements d’un si capable animal ? Je n’aurais trop su répondre alors. Il y avait quelque chose de péniblement étranger à appartenir à ce monde là, grouillant dans la vallée, plutôt qu’à celui où je me trouvais, caressé par le vent, le silence, le crépuscule, violenté par le vent, le silence, le crépuscule. Il y avait quelque chose de déchirant à sentir la distance, le trouble, les indéchiffrables échos de ce silence tumultueux. Quelque chose de déchiré dans cette chair faite d’esprit, cet esprit fait de chair. J’étais choqué par autre chose que cette lune déchirante, j’étais choqué sans pouvoir le nommer, mais je l’identifie bien maintenant, choqué par la pauvreté, la fragilité, la minceur du sens qui me tient dans cette vie. Une trop fine couche de conscience pour tenir à la densité infinie de l’existence, frêle couche de glace sur laquelle avance le monstre inhumain de mon humanité, trop fine pour tenir à l’innommable des secondes sur lesquelles se tient mon corps d’esprit, ma possibilité d’être, vacillant sur le maigre fil d’instants, tandis que les années épongent les traces de nos passages à la surface de ce monde fini. Et nous nous battons pour quoi ? Et nous faisons ce que nous faisons pour quoi ? Pour qui ? Pour quelle valeur, quel sens ? Mais pourrions-nous seulement tenir au seuil de pareilles forces corporelles, de pareilles exigences spirituelles ? Nos esprits de chair, nos chairs d’esprit sont-ils faits pour se coltiner cela, sommes-nous préparés à subir l’assaut infini de ces caresses et de ces morsures aux forces illimitées ?




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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 15:30

 


Je ne m’y attendais pas. Je suis monté marcher avec le souvenir encore frais de l’air, du vent, des odeurs, de l’herbe foulée, des arbres amicaux, un souvenir léger, important et futile, important dans sa belle futilité. Je ne m’attendais pas à ce soleil, si seul à se débattre au bas des nues, livrant à grande peine ses dernières lueurs, tirant une dernière flèche de lumière entre l’énorme masque de brume et l’horizon, avant de s’éteindre dans un dernier souffle qui sembla aussi long que bref (pour un dernier souffle solaire), comme il s’est appesanti le long de la montagne, perdant ses forces, sa forme, maigre et lourd croissant rougeâtre s’appuyant fébrilement sur la colline qui lui servait de passage vers un autre jour, laissant dans son sillage une nouvelle nuit. Je ne m’attendais pas à tant de beauté. Je ne m’attendais pas non plus à cette complète solitude, ce désert de vent, de terre et d’air. A devoir me coltiner l’espace et son grand souffle mourant, les collines et leurs monts perdus, cette sauvagerie première d’une solitude originelle et finale. Non pas que je n’en voulais pas, au contraire, c’était un honneur de me la coltiner, mais c’est pas comme si on pouvait s’habituer – et tant mieux – au choc dans lequel ça vous plonge un homme ce grand merdier d’immensité.

 


Une volupté féroce, dense et solide, au bord d’un à-pic de terreur, d’une terreur spirituelle irrecevable, à peine concevable. Commotion d’esprit devant le croissant nacré de la lune dans les vapeurs mauves et roses de l’agonie solaire, impuissance phénoménale au milieu de ces monts déserts, sans âme qui vive, sans nulle écho d’une voix qui couvrirait d’un voile sensible ce silence monstrueux, écrasé sous ce ciel ouvert comme la bouche avide d’une puissance inhumaine. Je ne m’attendais pas, en venant me promener là où pourtant je viens les chercher un peu, là où je les espère en secret, à faire ces rencontres, je n’étais pas préparé – l’est-on jamais… – et j’avais la pensée en tourbillon, pas très capable de sentir tout cela, c’est seulement maintenant, à l’abri de ces forces, au milieu de ces visages humains, dans le fatras de ces voix aux intonations familières, que je peux retourner dans ce grand cirque fou où je n’étais pas complètement. J’aurais aimé, j’aurais tant aimé y être, tout plein de corps et de conscience, mais j’avais la pensée agitée. C’est fou ce qu’il faut de corps pour faire un être spirituel. J’étais ailleurs, pas dans mon corps, pas aussi spirituel que toute cette déraisonnable puissance de cosmos m’y invitait, j’étais devant et derrière, voyageant en pensée d’hier à demain, sautant à pied joint par-dessus ce précipice d’instants auquel j’aurais pourtant voulu être présent. Je savais la vanité de chercher à m’y rendre par la force d’une volonté, alors j’ai pris l’instant comme il était : fait de cette absence, de ce voyage agité lui échappant. J’engrangeais les images, y accolais à chacune un mot, dénichais une sensation et y associais une étiquette, récoltais ainsi quelques miettes de présence pour le lendemain, pour aujourd’hui, pour ce moment de retour où j’allais pouvoir y être pleinement sans plus y être du tout. Et je revois le spectacle, ce qui m’entoure maintenant disparait derrière les vives réminiscences d’hier, et il me semble que j’y suis encore, que tout mon être y est resté, figé dans une zone intemporelle, le corps transi d’esprit, transi par le froid glacial de ce dernier souffle cosmologique descendu sur mes épaules fragiles, pas faites pour recevoir pareil poids d’immensité, pas préparée pour se coltiner pareille pesanteur inhumaine.


 

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12 septembre 2009 6 12 /09 /septembre /2009 12:15



Je suis monté à contrecœur, sur la montagne que j’aime tant, je suis monté le cœur rechignant, la poitrine en peine. Elle savait déjà, ma poitrine, sans doute savait-elle déjà le trouble qui la saisirait là-haut. Il est des lieux comme des personnes : ce qui nous les fait aimer tend parfois à nous les faire fuir, tant ils mettent à vif, par leur simple présence, ce qui est à la fois si bon et si douloureux, si tendre et déchirant. Je savais que ça me ferait du bien, même si je sentais que ça me faisait du mal, de monter là-haut, sur les dunes vertes, dans le vent froid, à l’heure où le soleil nous abandonne au chant des étoiles. La lumière, le vent, l’espace, j’en pressentais les remous dans ma poitrine déjà troublée, ma gorge se serrait déjà à la seule idée de les rencontrer, à la seule pensée d’être cet homme au milieu des éléments, à l’heure où les étoiles poussent le soleil vers d’autres continents, l’heure d’une solitude abrutie par la masse imposante des multitudes, où le poids de son vertige lui fait tourner la tête. Il ne restait presque personne là-haut, quelques lointaines silhouettes sur les dunes sauvages. Le vent, le froid, l’annonce des étoiles semblaient les voir balayés des grands champs de promenade. Chaque solitude pouvait ainsi sentir la pesante réalité de son vertige, le vertigineux sentiment de sa réalité. Mais ce n’est pas la solitude qui me fit des haut-le-cœur, ce n’est pas tant son vertige implacable qui troubla ma poitrine et serra ma gorge. Ce n’est pas le vent qui fit pleurer mes yeux non plus. Le mouvement de vague des graminées dans le contre-jour, leur façon de balancer sous le poids du vent et de briller sous le reflet du soleil couchant, cette danse végétale et son chant qui emplit ma tête, cette voix surgie du passage des courants d’airs entre leurs têtes ployant et vibrant comme des cordes vocales, voilà ce qui troubla mon cœur, dans un vertige de mélancolie, sous les poids d’une vertigineuse mélancolie, me portant jusqu’aux confins de mon enfance, en des espaces d’intimité qui semblent ne pas avoir de fond, où ma chute semble ne jamais devoir s’arrêter, là où le seul objet qui reste identifiable, au sein de ce trouble sans fond, semble être le souvenir le plus doux, le plus cher, le plus douloureux, le plus tendre et déchirant : l’enfance de ma famille. La famille où je fus enfant. Peut-être tandis que nous traversions des plaines lointaines, peut-être de semblables ambiances m’ont-elles pénétré, sans doute ont-elles touché l’enfant en son cœur, où se mélangeaient alors le vent, le soleil et les graminées, dans le champ de tendresse infinie qui nous réunissait, l’alcôve bienheureuse de notre amour sans fond, le vertige de cet amour qui nous portait à travers champ, sous l’étoile des multitudes.

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