Fondamentalement, les choses de l’esprit m’intéressent moins que celles du corps. Sans dire qu’il y a césure radicale, cependant l’expérience du penser peut s’avérer diamétralement opposée à celle du sentir – située alors à l’autre bout d’un continuum, au milieu duquel l’unité se réalise et les confond. Et si les choses de l’esprit ont finalement plus de place dans ma vie que celles du corps, c’est sans aucun doute parce qu’elles me rassurent en bien des points. Dont celui de l’estime. O comme elles nous valorisent, dans ce monde où l’intelligence intellectuelle – qui n’en est qu’une parmi d’autres –, analytique logico-mathématique de préférence, se dresse en totem idéal, en maître de finesse et de valeur, si visible en tant qu’ultime évaluation de nos systèmes éducatifs. Il s’y cache bien des choses, sous cet arrangement construit, sous les multiples couches d’une lente et longue naturalisation : de la préservation de statuts sociaux implicites et explicites aux vestiges d’un rapport de déni au corps, pour ne citer que deux émissions. Mais comment rester dupe ? Rien ne légitime cet équilibre. Surtout pas l’usage nauséabond voire meurtrier des dérives qu’il favorise – tant il ne suffit pas à ériger une éthique. Ma vie prendrait un joli tour si je pouvais avec l’âge continuer de gagner en indifférence dans cet enjeu qui – sous le couvert des intentions les plus élevées – soutient, révèle et traduit un rapport que je devine misérable et miséreux à la vie, interdit bien des rencontres avec la complexité contrastée de nos vécus – du plus ennobli au plus méprisé. Et c’est en tout conscience que je n’écris pas « du plus noble au plus méprisable ».