A Yaris qui me demandait de quoi j'avais peur, j'ai répondu: "J'ai peur de ne pas être compris, ou pire: d'être compris à l'envers de ce que je souhaite dire... L'horreur!!! Et pourtant j'imagine que la poésie exige cela: l'assurance de ne pas être compris, la nécessité de laisser à l'autre son propre entendement, ses propres résonnances..." Cette peur est celle que j'ai exprimée dans le texte "du personnel", et il en est né une belle série d'échanges dont je ramène ici quelques traces, vêtues du lien vers leurs auteurs. J'espère ne pas trahir leurs propos sortis de leurs contextes !
Elle m'avait demandé l'autorisation d'utiliser l'une de mes images, j'avais pris cela comme un honneur... J'ai lu ses nouvelles avec beaucoup de plaisir, une grande fascination et cette pensée: combien de trésors passent ainsi, à l'insu de si nombreux êtres qui pourraient y voyager en coeur et en esprit avec délice...(Un lien depuis l'image et un autre depuis le titre)
Elle n’est pas méchante, ma mère, elle est sévère. C’est pour mon bien qu’elle dit. Elle voudrait que je sois un modèle de fille. Elle fait tout pour ça. Elle se sacrifie beaucoup pour moi, qu’elle dit. Elle a mis sa vie privée entre parenthèses. Moi, je ne comprends pas bien ce que la ponctuation vient faire dans mon éducation. Ma mère, elle a toute une panoplie de punitions progressives qu’elle consulte souvent...
C’est vrai que je suis une fille assez rebelle. Je dirais une fille nature, une fille libérée, mais ma mère préfère rebelle. Elle l’a dit et l’a répété à tous ceux qui s’étonnaient des éclats de voix qu’on entend souvent chez nous. Ils ne s’étonnent plus, ils plaignent ma mère. Élever seule une enfant aussi caractérielle est difficile et ma mère est bien méritante, qu’ils disent.
On doit dresser les chevaux sauvages, les animaux utiles, les chiens. On doit dresser les enfants, les filles rebelles surtout, pour en faire des êtres sociables et humains, qu’elle dit ma mère.
Je n’aime pas ce dressage, moi. Les taloches, les claques, gifles, corrections, fessées à cul nu, coups de pied de ceinture cheveux arrachés mains écrasées pieds et poings liés à genoux ventre à terre écrasée pliée, ce n’est rien ou si peu. Si peu, oui !
Le plus dur, c’est le langage, les mots qu’elle emploie pour me remettre dans le droit chemin. Jamais vu un chemin tout à fait droit, mais si elle l’affirme ça doit exister quelque part. C’est terrible les mots. Ça pénètre et ça demeure, ça creuse et ça s’incruste. Ça fait mal au cœur, à l’âme. C’est pour toujours en nous et ça revient quand on ne s’y attend pas, ça nous tient éveillé la nuit. Ça ne se dissout pas dans les larmes ni dans l’eau du bain. Un mot, c’est sournois, c’est vrillant, c’est mordant tenace têtu visqueux. Ça adhère à toutes nos pensées et sans relâche ça nous guette...
"La façon dont je pense spontanément et réponds aux choses apparaît si différente des concepts standards, ou même des visualisations, que certaines personnes ne les considèrent pas du tout comme des pensées, alors que c'est une façon de penser qui possède sa propre légitimité. Malgré tout, la pensée de personnes comme moi n'est prise au sérieux que si nous apprenons votre langage." Amanda Braggs, s'exprimant depuis sa réalité propre, étiquetée d'autistique.