Courir, être pressé, passer d'une activité à l'autre, finir une chose – ou pas – pour vite commencer la suivante, craindre d'arriver en retard, accomplir une tâche en en portant trois autres sous le front, subir l'urgence des journées hachurées de rendez-vous, d'obligations, de tâches, porter sur soi la liste mnémotechnique où se décline l'ensemble étouffant de tout ce qui reste à faire, et faire, faire, faire, sans s'arrêter, imperturbablement, remplir, répondre, payer, tapoter, imprimer, envelopper, attendre, réparer, faire réparer, racheter, remplacer, la conscience réduite à une fine aiguille qui avance et recul dans le tissu qu'elle brode sans en connaître ni la forme, ni l'utilité, ni la matière, intercaler la dose minimale d'exercice physique, les dix minutes occidentales de méditation qui permettront d'être encore plus efficace, penser à monter les escaliers à pieds à défaut de pouvoir marcher dans l'herbe, parce que ce qui compte ce n'est pas de marcher dans l'herbe humide et grasse de la planète Terre, c'est d'avoir les muscles en forme pour fonctionner dans l'insipide aridité du système qui étouffe l'humanité de nos présences, abuse de nos souffles à des desseins qui ne servent que pauvrement et succinctement nos valeurs, mais quand même tout faire pour trouver un moment d'évasion quelque part durant les quelques heures du weekend qui ne seront pas allouées au sommeil, à la récupération, à la rarissime réunion familiale sur laquelle tient encore vaguement debout le sens de notre appartenance, de notre enracinement, de notre histoire, au seul moment privilégié qu'il reste pour partager quelque chose par amour, sans autre motif que le plaisir. Qu'est-ce que cela ?