23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 15:30

 


Je ne m’y attendais pas. Je suis monté marcher avec le souvenir encore frais de l’air, du vent, des odeurs, de l’herbe foulée, des arbres amicaux, un souvenir léger, important et futile, important dans sa belle futilité. Je ne m’attendais pas à ce soleil, si seul à se débattre au bas des nues, livrant à grande peine ses dernières lueurs, tirant une dernière flèche de lumière entre l’énorme masque de brume et l’horizon, avant de s’éteindre dans un dernier souffle qui sembla aussi long que bref (pour un dernier souffle solaire), comme il s’est appesanti le long de la montagne, perdant ses forces, sa forme, maigre et lourd croissant rougeâtre s’appuyant fébrilement sur la colline qui lui servait de passage vers un autre jour, laissant dans son sillage une nouvelle nuit. Je ne m’attendais pas à tant de beauté. Je ne m’attendais pas non plus à cette complète solitude, ce désert de vent, de terre et d’air. A devoir me coltiner l’espace et son grand souffle mourant, les collines et leurs monts perdus, cette sauvagerie première d’une solitude originelle et finale. Non pas que je n’en voulais pas, au contraire, c’était un honneur de me la coltiner, mais c’est pas comme si on pouvait s’habituer – et tant mieux – au choc dans lequel ça vous plonge un homme ce grand merdier d’immensité.

 


Une volupté féroce, dense et solide, au bord d’un à-pic de terreur, d’une terreur spirituelle irrecevable, à peine concevable. Commotion d’esprit devant le croissant nacré de la lune dans les vapeurs mauves et roses de l’agonie solaire, impuissance phénoménale au milieu de ces monts déserts, sans âme qui vive, sans nulle écho d’une voix qui couvrirait d’un voile sensible ce silence monstrueux, écrasé sous ce ciel ouvert comme la bouche avide d’une puissance inhumaine. Je ne m’attendais pas, en venant me promener là où pourtant je viens les chercher un peu, là où je les espère en secret, à faire ces rencontres, je n’étais pas préparé – l’est-on jamais… – et j’avais la pensée en tourbillon, pas très capable de sentir tout cela, c’est seulement maintenant, à l’abri de ces forces, au milieu de ces visages humains, dans le fatras de ces voix aux intonations familières, que je peux retourner dans ce grand cirque fou où je n’étais pas complètement. J’aurais aimé, j’aurais tant aimé y être, tout plein de corps et de conscience, mais j’avais la pensée agitée. C’est fou ce qu’il faut de corps pour faire un être spirituel. J’étais ailleurs, pas dans mon corps, pas aussi spirituel que toute cette déraisonnable puissance de cosmos m’y invitait, j’étais devant et derrière, voyageant en pensée d’hier à demain, sautant à pied joint par-dessus ce précipice d’instants auquel j’aurais pourtant voulu être présent. Je savais la vanité de chercher à m’y rendre par la force d’une volonté, alors j’ai pris l’instant comme il était : fait de cette absence, de ce voyage agité lui échappant. J’engrangeais les images, y accolais à chacune un mot, dénichais une sensation et y associais une étiquette, récoltais ainsi quelques miettes de présence pour le lendemain, pour aujourd’hui, pour ce moment de retour où j’allais pouvoir y être pleinement sans plus y être du tout. Et je revois le spectacle, ce qui m’entoure maintenant disparait derrière les vives réminiscences d’hier, et il me semble que j’y suis encore, que tout mon être y est resté, figé dans une zone intemporelle, le corps transi d’esprit, transi par le froid glacial de ce dernier souffle cosmologique descendu sur mes épaules fragiles, pas faites pour recevoir pareil poids d’immensité, pas préparée pour se coltiner pareille pesanteur inhumaine.


 

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commentaires

S
<br /> Vous êtes en quelque sorte un spécialiste de la confrontation entre le corps seul et la nature, et de la traduction verbale précise des sensations qu'elle fait naître... Une ciselure qui laisse<br /> toute sa place à l'émotion, sans intellectualisme exagéré ni à l'inverse simple admiration béate. Toujours profond et enrichissant, par conséquent, de vous lire...<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Comme dit par chez vous, un très inattendu et précieux reflet... merci encore.<br /> <br /> <br />

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