5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 19:25

 

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Lentement, à la vitesse de mon corps, j'ai marché. Mon corps s'est mis à marcher ainsi, lentement, posément, tandis que mon regard se désintéressait de tout ce qui l'entourait pour se poser sur le sol défilant. C'est l'humeur qui a dicté l'allure, sous les branches, ce sont les maux que je piétinais ainsi, lentement, comme un pied nu piétine le raisin dans les cuves. De tout le poids de mon corps, de toute la présence de mon souffle, ça prenait le temps d'avancer au rythme de l'humeur, de peser pleinement sur les corps opaques de mes maux, comme pour en faire sortir l'essence, les libérer de leur peau, les faire sortir de ma propre peau. Je suis un homme fâché, triste et anxieux, aujourd'hui. En faisant demi-tour, j'ai vu ça dans le reflet qui se dessinait dans la grande flaque de jus de raisin, épandu sur le sol comme un sang liquoreux, une bile sombre comme un tourment. Mais avant de voir cela, j'ai senti la lenteur s'éprendre de tout mon corps, imprégner chacune de mes foulées, et mes pensées s'y épuiser agréablement. La lenteur tissait du silence, accordait mon souffle et mes pas, et remplissait ma tête d'une conscience réduite à peu de choses. Ceci était bénéfique, mais la rencontre n'était pas très agréable. Il était bon de pouvoir se poser dans cette lenteur, d'y trouver le calme d'un temps suspendu, d'une attention qui a cessé de virevolter en tous sens et s'est posée sur une branche, contemplant les intériorités dans une sorte de tranquille intranquillité. Mais il n'était guère appréciable de sentir toutes les ramifications sensibles de ce que j'éprouvais, la chair intégrée de mes sentiments. Des maladies organiques aux turpitudes d'esprit, des fatigues en tous genres aux exigences redoutables, il y avait comme trop d'éléments à se coltiner avec un seul corps de solitude, il semblait y en avoir autant qu'il y avait de pierres sur ce chemin, et je n'avais ni la force ni le temps de consacrer à chacune le pas qui les eut fait murir, qui les eut transformées enfin. Il n'y avait pas beaucoup de place pour la lumière, la chaude lumière d'été, sous les arbres, pas beaucoup de place pour la légèreté d'une humeur plus bénigne, et j'aurais bien aimé pouvoir me raconter une autre histoire, mais celle que j'entendais n'était pas un mensonge. En esprit je pouvais me soulager de mille façons, en corps, là où se tramait l'unité de mon être, l'intégration en ma conscience de ces vécus peu sympathiques, en corps rien ne me soulageait sinon cette franchise, cette complétude qui m'invitait à l'accepter pour mieux la transcender. J'ai tenté un moment de regarder les feuilles, de les voir comme si je ne les avais jamais vu. J'ai posé mon regard préhistorique sur la plaine immense. J'ai tenté mon esprit aux vertiges du ciel où dansaient des hommes volants. Mais rien n'y faisait. J'avais le cœur trop lourd, trop plein, pour y accueillir encore l'extase du monde, l'émerveillement premier. Je me suis dit: « Tu vois tout en noir ». Puis d'une autre voix j'ai répondu: « Non je sens le présent clairement. » J'ai regardé la partie pleine du verre – toutes les bonnes choses qui entourent ce moment de vie – et en moi ça ne réagissait pas, ça faisait de l'indifférence, je n'y étais pas. Comment prendre soin de ce qui manque, de ce qui blesse, de ce qui néglige, si à peine commence-t-on à y faire face qu'aussitôt un mouvement se met en quête d'artifices et de pansements, de béquilles et de pilules? Comment rencontrer la vie telle qu'elle s'organise en soi, si elle n'est pas reconnue dans la plus immédiate apparence de son phénomène? Comment rendre vie à la liberté spontanée de mon être si je ne me donne pas la peine de le recevoir tel qu'il est, jusque dans ses méandres les plus irrationnels, les plus débiles, les plus destructeurs, si je ne tente pas un peu de comprendre ce que ces aspects dérangeant racontent de moi, si je ne m'évertue pas un peu à comprendre de quoi ils sont faits, sur quelles nécessités ontologiques ils se sont bâtis!? Cette marche ne m'a fournit aucune solution, elle ne m'as pas magiquement libéré de mon trouble. Mais confusément je sens qu'elle m'a fait du bien, qu'elle m'a permit de déposer un peu du limon au fond de la marre et d'y voir plus clair, de m'accorder un peu mieux. Je ne sais pas comment font les autres êtres, mais en ce qui me concerne, il n'y a qu'accordé que je commence à sentir de nouveaux mouvements prendre vie dans ma présence, presque malgré moi, il n'y a que rassemblé et compréhensif à l'égard de tout ce qui se joue en moi que je parviens à me sentir pleinement vivant.

 


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