Il me faut un silence majestueux, comme une cathédrale, remplie d'une musique aérienne et liquide. Que les harmonies mineures creusent dans l'espace des perspectives temporelles infinies. Et que viennent frisonner contre ma peau la brise du lointain, la conscience de toutes choses. Alors s'ouvrent des prières, des recueillements, d'essentielles considérations. Le temps de l'arrêt, la virginité du regard, l'immensité du souffle. Depuis la plus grande de mes pertes, celle d'une mère, ma vie est devenue une bataille, pour ne pas dire une guerre. Non. Elle l'était déjà avant, mais avant, j'avais en moi une naïve étincelle. Non. Je l'ai toujours. Mais elle se consume faiblement, tapie dans le dernier recoin d'ombre, tandis qu'avant, avant elle rayonnait sans connaître la valeur de sa joyeuse spontanéité. Je pouvais répondre « j'aime la vie » sans blêmir un seul instant, sans tressaillir, sans douter, sans mentir. Il me revient pourtant que l'année suivant le décès, j'étais plus vif et alerte que jamais, je jouissais sans mesure de la chance qu'il m'était donné d'être là. Jeune et fou, je m'amusais dans l'extase de tous mes sens déployés. Je pleurais tous les jours, je creusais sur le damier de mon parquet les sillons de mes chutes, des tortillements où la souffrance réduisait mon corps en miettes, mais l'intensité de ma douleur avait pour reflet celle, égale, de me sentir vivant et de m'en réjouir en saisissant chaque opportunité. Si je ne peux répondre avec la même franche appétence quant à savoir si j'aime la vie ou pas, je ne suis pas tant sûr qu'il s'agisse d'un deuil en suspens. Je reconnais qu'une forme de vitalité a disparu, s'est enfouie quelque part. J'y devine bien davantage, au creuset de ce manque, la permanence d'un décalage, d'une disharmonie entre ce que je me donne à vivre et ce que j'ai le désir de vivre.