Des ces années longues et lointaines, si brèves.
De ce rassemblement immémorable d'instants, plus dense que n'importe quelle masse repliée sur elle-même.
Tout savoir, tout retenir, tout vivre.
Nul espace ne sait mieux me rendre à la vie que cette heure nue, vierge de son inquantifiable expérience, à jamais infinie, renouvelée.
Tension folle de mon esprit, grand voile tendu dans l'immense pour cueillir la moindre vibration, sentir la plus petite particule.
Comprendre. Saisir. Rester. L'ouverture des portes, visières qui se dévoilent. L'âge qu'on a, les statistiques de la mort, ce qui reste possible, et l'océan de désir, les montagnes de rêves. Puis ce contact dur, réel, brut et brutal, avec ce qui est là, force mate d'un mur qui ne tombe sous le souffle d'aucun soupir, pas même d'un coup de poing.
Étendue, où la parole étire l'imagination, comme une soie malléable, molle, plastique, grande matrice où s'enroulent toutes les aspirations, d'où s'envolent tant d'espoirs. La petitesse de l'instant fait des immensités insoutenables. Délirantes.
Ce n'est plus le monde que mes gestes ordonnent. C'est celui qui ordonne mes gestes. Vaste puissance, grande boule de terre en mouvement, ronde force inaltérable qui m'emmène dans son inexorable voyage. Tout ce sur quoi je n'ai pas prise, d'une grandiose beauté, terrifiante, bouleversante, mais si vraie, si exacte, si sûre, qu'elle apaise aussi. Accordé. La place, l'ensemble. Unifié.
D'appartenir à cette heure nue, cette mauve déshérence de lumière, jour parmi les jours, qui m'abandonne, me laisse à la nuit. M'emballe dans son incessante mue, où je gagne et perds, prends et donne, reçoit et livre, commerce d'homme, commerce organique, chant millénaire.
Indicible impression qu'une délivrance pourrait surgir de la parole la plus précise pour exprimer cet éprouvé confus de beauté, de tragédie sublimée, ventilée au souffle poétique. Comment dire, dire comment. Le trouble, dépassement, incommunicable et si présent. Tout entier là, échappant. Enveloppe chaude, invisible. L'imperceptible changement de rythme, en chaque perception. Latence. Folie. Déchirure, raclement, désolation. N'être plus qu'un homme, n'être enfin qu'un homme.
Âme boursouflée d'hématomes à se cogner aux quatre coins du vide. Plantée dans l'ignorance, comme un totem, une divinité, arbre animal, en désarroi devant ceux que la maîtrise a su berner, adulant celle qui les trompe. Âme perdue, vaincue. Sise dans la boue, la fange des sagesses les plus humbles. Cul mouillé. Pluie du regard. Solitude.
Grande gifle.