22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 18:48

Saintes-Maries-2011 0258

 

Je cherche un peu de place, un espace où s'effacerait tout ce qui n'est pas paysage. Dehors, celui qui défile roule sous mes yeux comme le chapelet sous les doigts du moine, au rythme d'une silencieuse prière, scansion régulière formulée d'une voix sourde par les roues du train. Dedans, un autre roulis, où s'entremêlent flottements d'esprit et pesanteurs de corps, émois qui s'entrechoquent comme des pierres dans le flux tourbillonnant d'un ruisseau. Je ne le trouve pas cet espace, mais il se creuse un peu plus à chacune de ces phrases. Elles tombent sur la feuille entre deux regards perturbés par les beautés du dehors, ces champs couverts de brumes où le soleil des premières heures fait chatoyer ses reflets; la femme qui marche seule sur le trottoir, figure de destin, silhouette humaine où se projettent toutes mes existences – telle une marionnette de théâtre elle aspire mon âme en sa comique tragédie; les jeux d'ombre et de lumière dans le contre-jour auroral saisissant mon petit cœur d'homme et le broyant mille fois sous les durs martellements de son impuissance... Ces phrases continuent cependant leur délicat ouvrage, tirent sur les bords de ma conscience, tentant d'en écarter tendrement les franges, fermées en lèvres inquiètes, tremblantes d'un trop plein d'émotion, n'osant plus dire, tant dire est fait de mots épais et larges, si bouffis de vie qu'ils semblent pouvoir déchirer la pulpe fragile de ces chairs.

Face aux lueurs opposées, celles du couchant, la journée tirant un trait sur son portrait, me voici rendu à une semblable quête. Attendant que se rassemblent les éléments de la journée, chaos répandus en pièces morcelées dans ce corps où la conscience n'a pas pu mener à bien la métabolisation de mes vécus – par trop nombreux, menaçants, confus. Après la rue qui m'effraye – ma psyché avançant vers la coque du train comme une proie à la merci de chaque présence alentours – le soleil qui m'aveugle fait baisser mes paupières et insuffle par l'iris entrouvert un peu de  chaleur, une apaisante tiédeur. Bien qu'au même moment il en déchire des lambeaux à sa façon de laminer le paysage, lame de feu tranchant la campagne de formes aux géométries et aux couleurs d'une innommable beauté. Puis-je encore? D'où puise-t-elle cette persistance, à quelle force s'abreuve-t-elle, celle qui me contient?  La triste musique qui se répand dans mes oreilles inonde le paysage d'une mélancolie sans frontières, l'horizon de matière n'apportant nul réconfort à ce qui maintenant passe sous le marteau du ferrailleur atavique, qui rode au fond de mes cellules, dans les couches profondes de mon histoire, les chemins primitifs de mon affection. Mais peu à peu, comme une aiguille transforme la pelote en habit sous le geste appliqué de la brodeuse, je sens se réorganiser ma composition d'être. De respirer profondément, descendre lentement en moi, revenir à la simplicité immédiate d'une raideur dans la nuque, d'une tension dans le genou, raccommodant patiemment ce qui s'est décousu au fil du jour.



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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 19:33

Interieurs--balcon sur monde--vues silencieuses 0007
De dimanche je n'ai pas eu. Pas encore. Et il est presque mort. Tandis que je lutte pour une heure de repos, une heure de rien du tout. Eux font l'amour, à côté. Je l'entends, elle, j'entends son plaisir vacillant, sa voix de femme en pâmoison, quelques brefs et doux cris d'évanouissements – évanouissements desquels elle renaît bien vite pour de nouveaux soupirs. Leur plaisir ne fait pas le mien. Au sous-sol, tandis que le hublot de la machine à laver me donnait le tournis – à moins que ce ne fut d'être contraint à cette tâche qui me fit quelque écœurement, j'ai eu envie de me plaindre. J'avais dans la gorge des ébauches de lamentation, au bord des lèvres de pathétiques litanies... D'avoir à me trouver là, après et avant des semaines si remplies que même le tonneau de la lessiveuse en débordait, en ce dimanche où je ne pouvais me reposer d'avoir pourtant œuvré sans faillir à la construction d'un monde certes petit – le mien – mais d'une vie tout de même, d'ailleurs mise en partie au service de celles d'un certain nombre d'autres. Mais aussitôt, la conscience de cette parole a éveillé un malaise: me plaindre, moi, quand je pense au sort de la majorité du reste de la population terrestre... Impossible. Eux qui ne jouissent que de s'aimer parfois, et que personne n'entend au travers des murs d'indifférence, ne connaissant pour la plupart rien du premier de mes conforts. Pourtant la censure morale tombée du haut de ma conscience, je le devinai aussitôt, tendait, en m'interdisant la plainte, à m'interdire du même coup de rester au contact de ma frustration, de ma fatigue, lesquelles, au-delà de toute notion abstraite, avaient bel et bien lieu dans mon être, s'inscrivaient dans mes chairs, s'en servaient pour s'y exprimer, s'y faire sentir. Et si ma tentation pour la complainte avait éveillé le sens de sa propre démesure, de son incongruité, le souci de ne pas négliger mes humbles et légitimes besoins pouvait lui épouser l'épaule, coexistant ainsi avec un sens averti d'une réalité par ailleurs cent-mille fois plus monstrueuse que celle me procurant ces désagréables langueurs. En outre, à l'instar de ma digne appréciation, la complainte n'exerçait-elle pas le même ostracisme sur mes sensations, me coupant de leur contact pour installer en mon esprit, seule, vaniteuse et grossière, la perception d'un tord, d'une injustice, d'une revendication au droit de ne rien faire, un jour durant? Il me semble, oui. Voilà, mon plaisir se suffira de cet accouplement-ci, pâmoison de conscience qui jouit de son pouvoir de réajustement par la mise en perspective, faisant vaciller le socle des visions réductrices, s'évanouir des sentiments irréfléchis en mêlant les jambes du ressenti à celles de l'esprit – une joyeuse sauterie sommes toutes!


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16 septembre 2011 5 16 /09 /septembre /2011 06:35

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La dernière fois que j'écoutais cette musique, j'avais pour perte toute la nomenclature environnante. Mes yeux se brisaient contre le soleil et l'absence d'horizon, comme les vagues butaient contre la plage sans fin. Avec autant de fracas que de tendresse, dans une répétition continue, ininterrompue, abandonnée à son infinitude – apaisée parfois mais toujours recommençante, jusqu'au délire, à l'hallucination. Ma peau, la peau de mon torse et de mes jambes, redécouvrant le contact brut avec les brassées d'air, enveloppée, caressée, griffée, d'un effleurement de chaleur ici, d'un enroulement de fraîcheur là, pièces tourbillonnantes autour de mon corps, s'engageant en siphons dans ma nuque, entre mes cheveux, tissant autour de mes bras des cordes de soie, légères et vibrantes, palpitant contre mon ventre joyeux, toquant dans mon dos d'insoupçonnables présences. J'étais un homme d'air et de sable, de mer et d'étoile. Qu'y avait-il autour de moi, sinon ce sable anthracite, allongé sur un vaste plateau sans limites, grumeleux et doux, crissant sous le début du pas, la plante du pied comme percée d'une centaine de dards un instant, puis celui d'après, accueillie dans le moule parfait de sa forme et de son mouvement, un milliard de rondes billes roulant sous le foulé d'un pied amusé par les sensations contrastées. Ce plateau dont les bords disparaissaient dans un mirage flottant, contre le ciel, quelque part au loin, dans une distance indéfinissable. La mer, turquoise et métallique, sillonnée d'écume et fragmentée de pièces d'argent, ourlée, agitée comme la poitrine d'un homme habité d'élans aussi multiples que contraires et complémentaires, la surface toute crépitante de soubresauts, de bulles, de vagues, à la façon dont les idées affleurent en pagaille à l'esprit trop éveillé ou à moitié endormi. Elle aussi n'avait rien contre quoi se reposer, sinon la plage où je dansai avec les vagues, et ce ciel bondissant, ce ciel aux pâles fondations mais dont le faîte prenait corps d'un bleu solide, comme pour tenir suspendue la balle de feu qui semblait à tout instant pouvoir éclater, sinon tomber d'un seul coup dans la grande baignoire d'eau salée où mon corps flottait si gaiement. C'est bien tout ce que j'avais autour de moi. Du sable, de l'eau, un soleil, et l'air vagabond, errant par grandes masses de troupeaux invisibles, ne sachant trop où aller, musardant d'un coin à l'autre de cette arène sans barrières, virevoltant au sommet des vagues et venant se frotter amicalement contre la bête respirante qui siégeait là, au milieu, étourdie, l'œil hagard et médusé, incapable de faire assez de place en son entendement pour tant de vide et de matière, tant d'irrespirable beauté, de confondante apparition.

 

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18 août 2011 4 18 /08 /août /2011 20:53

 

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Au lieu d'écrire, je dessine. Et mon cerveau, bienheureux, s'éteint. De son extinction, bienheureux. Écrire comme je dessine. Débranché. Off. Sinon rien. De parole, assez. De pensées, trop. D'idées, le tourniquet et la nausée. Une ligne qui s'allonge et bifurque, avance au hasard et s'enroule sur elle-même, fascinante, l'hypnose, allumé-éteint, repos. Écrire comme dessiner. Pas là. Pas moi qui dirige. La ligne se déroule, revient à son point de départ. Elle ne dit rien. Elle dessine. Ma main suit. N'existe à l'œuvre qu'un secret. Je suis le dirigé, l'objet. La page blanche, c'est moi, et les mots viennent se poser, comme les plumes d'un oiseau bleu, doucement, frôlent ma peau, délicate. Je ne suis plus. Ça se passe loin, loin, si loin. Et me voilà si tranquille, si bien sans l'autre, là, que je ne nommerai pas. Je devrais toujours commencer par dessiner avant d'écrire – l'ennui étant qu'au milieu des fourmilles d'idées, celle-ci jamais ne danse. Ô mais quel merveilleux refuge. Je viens de découvrir une nouvelle porte. Pour entrer dans cette pièce sans lumière où tout devient phosphorescent. Où tout disparaît enfin, sauf la peau le regard la respiration. Une simple ligne qui ne dessine aucun mot et la pensée disparaît. Encore quelque enlacements d'encre et bientôt toutes les amphigouris de l'esprit son évaporés. Ça chante seulement. Ça chante sans rien dire. Ça tourne en rond dans un bienheureux silence qui s'enroule sur lui-même, comme un chat, et ronronne, comme un chat. Je suis comme un chat lové dans sa fourrure, au milieu de coussins feutrés, j'ai perdu ma pensée quelque part et j'en ronronne de plaisir. Je suis un animal. Je suis l'animal que je suis vraiment. Il me reste cette parole de reflet, ce chant doux qui ne dit rien, fait miroir, c'est tout.

 

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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 16:13

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Après quelques jours d'un étrange voyage où j'ai passé la plus grande partie de mon temps devant l'écran de mon ordinateur, branché sur les mondes que j'y créé et qui me connectent aux autres tout en me déconnectant de moi, débranché de me sensations, incapable d'y revenir, oublieux sans même le souci de cet oubli. Après ces trois jours dont je ne saurais dire comment je m'y suis senti: ni bien ni mal, mais d'une sorte d'absence et d'étanchéité au monde. Jusqu'à hier soir où, isolé dans une maison de campagne, j'ai eu cette significative envie de « me mettre une mine » et où j'ai fini les fonds de bouteilles qui traînaient dans la cuisine – signe d'une colère retournée et d'un excès de négligence dont je me prenais le retour de flamme en plein visage – en plein gosier pour être exact... Jusqu'à ce matin où cette étanchéité m'a fait peur. Sous la douche, le corps pris de balancements automatiques, comme en appel de sensations, cherchant à tourner mon attention vers son organique présence, j'arrivais enfin à cesser l'embrasement infini de mes pensées, je pouvais taire cette bouche en lui collant aux lèvres la main d'eau qui m'enveloppait, enfin dégoutté de cette tension perpétuelle vers les projections d'idées et le contrôle de leur mise en forme, vers le souci d'avoir répondu à tous les besoins, tous les messages, et ce de la façon qui soit la plus adéquate... La plus adéquate pour m'épargner le risque de ne pas être irréprochable. Toujours le même refrain.

J'ai touché, comme on effleure la peau d'un serpent au fond d'un vase, à de sombres élans cette nuit. Je m'avouais une attirance noirâtre pour ce penchant qui œuvrait en moi depuis quelques jours: aller jusqu'au bout de cette coupure, la consommer entièrement, chercher l'ultime butée, contre laquelle le mouvement cesserait enfin. Depuis quelques jours effectivement, j'avançais avec une obstination sourde vers des résultats dont ma tête figurait seule les visées, insensible à mes rythmes, respirant à peine, tout entier tendu vers la mise à disposition de mes différents ouvrages et d'une présentation qui réponde à toutes mes exigences. Trois jours entiers passés devant ce qui, essentiel pour quelque nébuleuse partie de mon être, m'empêchait de prendre le moindre soin d'autres parties dont les besoins sont simples et évidents, et sans aucun doute bien plus essentiels à la réalité de ma santé et de mon sentiment d'exister. Car c'est d'eux dont il est question, par là-dessous, si je simplifie les choses. J'aurais aimé, hier soir, que le serpent me morde, qu'il injecte son poison dans mes veines et que la folie me gagne pour de bon. Qu'elle me mette hors course. Qu'une puissance plus grande que ma volonté écrase celle-ci comme une vulgaire mouche, et m'envoie sans détour sur un lit d'hôpital, dans une chambre de retraite où l'on prendrait soin de moi, où je serais forcé à la convalescence, interdit de faire autre chose que m'émerveiller d'être encore vivant, de respirer, de manger, de bouger, de recevoir des gens. Toucher le fond pour ne plus revenir, mettre un terme à ces allers-venues perpétuelles entre les terres où je sens tout mon être s'épanouir et celles où il se fane et flétrit comme une vieille rose usée qui ne tient à la vie que par un fil.

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29 juillet 2011 5 29 /07 /juillet /2011 10:25


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Je voudrais écrire sur la joie. (Quelle joie, puisque nulle ne m'habite!?). Mais c'est la morosité, la langueur, l'angoisse qui attendent au bout de ma plume. J'ai besoin de les expulser, d'extirper leur violence de mon humeur, quand je souhaiterais exprimer avec douceur la joie la plus simple, la plus naïve. Voici bien le langage d'un esprit morose, qui, pour le coup, a l'excuse de macérer dans un corps abîmé. Un corps pétri de turpitudes qui, telle une nuée de sauterelles sauvages, dévaste chaque nuit les champs de son sommeil. Je cède donc à la lamentation cet espace déchiré, comme se lèverait le paysan devant sa moisson anéantie. Et tous deux – c'est bien ce qui me désole le plus – nous avons perdu la faculté d'en rire. Nous pourrions hausser les épaules et abandonner sereinement la lutte, gardant à l'esprit que rien de tout cela n'est bien grave. Il reste le ciel, les oiseaux, un toit, une pitance et des visages à aimer. Je possède même toute une panoplie de choses inutiles et divertissantes, ainsi que de grands conforts matériels, j'ai aussi tout ce qu'il me faut pour réaliser mes plus précieux ouvrages, voyez-vous, mais il manque à chacune de ces choses ce que mon être peut y insuffler y voir et y vivre de joie. Nous avons perdu cela, le paysan et moi, et l'on pourrait nous dire: mais de quoi vous plaigniez-vous? Je me demande ce qu'il répondrait. Moi: je me suis mal fait comprendre si l'on croit que je me plains. J'observe et constate, affligé certes, mais ne revendiquant rien, plutôt piteux d'avoir à reconnaître le triste penchant de mon tempérament. Je suis malheureux et je le dis, dépose mon état sur cette feuille, sous mes yeux, hors de moi, pour l'en sortir, n'être pas seulement sa victime, mais aussi celui qui tente de cisailler dans la peine un peu de beauté, un peu de réconfort. J'en fait un récit, cède à la lamentation mes forces, mais détourne sa parole lénifiante en ce qui, à défaut d'un rire, pourrait alors ressembler à un chant. A vous de voir. Moi ça me remet un peu de musique à l'intérieur, ce commerce-là.


Aujourd'hui, je troque enfin ma peau d'homme contre celle de nuage. Pour trois semaines. Trois jours et trois semaines. Mutation. Au ciel, aux vents, au vacant, je m'abandonne. Ce n'est pas tant une décision qu'une rémission. Je m'en remets à la lassitude, à l'évidence: vaine est ma bataille.












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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 16:04

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Si sombre qu'il faudrait presque allumer une lampe. Un orage. Et je trouve dans cette pénombre la cachette dont j'avais besoin. J'ai perdu la compagnie d'une paix qui imprégnait mon corps. Je l'aie perdue depuis trop longtemps. Une maladive inquiétude est revenue polluer mes nuits de douloureux réveils. Je la sens dans ma nuque, comme une main qui refuse de lâcher prise et sert de toutes ses forces ma chair oppressée. J'avais prévu une marche, sur le sentier où les gouttes de ma transpiration ressemblent parfois à des larmes, mais pour l'instant, sous les pensées qui divaguent, je tiens par la main cette sensation qui me souhaite un dimanche de repos. Un dimanche à ne rien faire. Rien faire ou faire quelque chose, mais garder un œil sur elle, cette amie intérieure, qui me libère de tout ce que j'avais prévu, de tout ce que je trouverais bien de faire, de tout ce que je pourrais décider de mettre en œuvre pour satisfaire ce qui se programme dans ma tête. Elle me propose ce que je reçois comme une caresse: notre connivence, la façon dont nos épaules se touchent, comme je peux m'appuyer contre elle et la sentir me rassurer. J'ai le droit de ne rien faire. J'ai le droit d'oublier tout le reste, de faire la sourde-oreille aux voix qui me rappellent la bonne conduite. J'ai le droit de n'écouter que mes sensations, d'accepter leurs silences, leurs confusions, leurs ambivalences, de n'agir que leurs élans, aussi éloignés puissent-ils être de ce que je me représente comme adéquat, adapté à mes projets, mes intentions, mes habitudes. La seule chose qui compte, me dit-elle, c'est que tu sois bien, que tu sois là, et que tu puisses, en fermant les yeux, vérifier que tes gestes partent d'un lieu tranquille. Elle m'aide à oublier. Par la pensée et les images, mille tentations s'offrent à mes exigences comme autant de pièges, et je pourrais me mettre en mouvement sous leurs ordres et leurs invitations sans prendre garde, sans questionner ce que je ressens. Mais ce dimanche, si sombre qu'il ressemble à la nuit, a installé une atmosphère propice au repos, à la rémission, aux forces sombres de l'ennui, de l'épuisement, du repli. Cette pluie, dont le cliquetis continu produit une ambiance méditative, m'empêche d'aller faire pleurer mon corps sur le sentier boueux et les cailloux glissant, et je réalise que, malgré les vertus de l'effort physique dont je ne doute pas, ce sont celles d'une mélancolique langueur que je préfère pour l'instant. Je regarde pendant de longues minutes cette corneille, immobile sur l'antenne de l'immeuble, en face. Et j'ai la pensée aussi immobile que mes yeux et leur cible. Je ne la regarde pas, en réalité, mes yeux se sont posés sur elle comme pour voir au-delà. Et il ne fait aucun doute que c'est au-delà de ma pensée que je me trouve actuellement. Apparemment – apparemment seulement – immobile, vide, silencieux. Pourtant quelles forces s'y réparent, quels entendements s'y nouent, quels émois s'y développent? Nul ne sait. Je fais le pari qu'ils existent, qu'ils sont nombreux et importants – pas moins importants que chacune de mes actions réelles sur le monde réel. Je suis bien, là, chère amie, mon épaule contre la tienne, et pour rien au monde – sinon l'épaule d'une compagnie plus réelle – je n'échangerais cette apparence de vide contre la moindre apparence de ce qui pourrait le remplir. D'ailleurs, qu'est-ce, sinon une plénitude, cela que j'éprouve maintenant... De grandes respirations soulèvent ma poitrine, comme des vagues dont le ressac s'échoue en sanglots sous ma gorge, et les frissons qui parcourent mes bras ont l'odeur salée des embruns. La corneille ne bouge pas. Le cliquetis du clavier a remplacé celui de la pluie, et la pénombre est moins dense, je vois même une percée bleue – qui m'agresse. J'aime aujourd'hui le coton des nuages, leur enveloppe protectrice. De soleil et de lumière je ne veux pas. Je souhaite rester en l'opacité nébuleuse où la rêverie de la corneille semble plongée. Que dure longtemps encore cette heure silencieuse et vide, où j'ai oublié qu'il y avait une réalité, des limites, une finitude, des frustrations et des empêchements. Je ne me coltine plus ce que je ne sais pas accepter. J'ai ma compagne, dont l'épaule me soutient, toute de songe et de silence, j'ai la pluie de ces mots qui tombent de nuages que je ne vois pas, d'un au-delà de ma conscience où se trament sans doute quelques subtils réparations. Plus essentielles aujourd'hui que les objets auxquels je m'affaire le reste du temps, dont la matérialité me rassure, donne une consistance sur laquelle mes critères peuvent objectiver leurs attentes. Rien de concret, sinon cette parole qui s'inscrit sous mes doigts, comme la pluie fait chanter le sol en y posant son doux murmure. Et si je fais chanter la page en y déposant le doux murmure d'un au-delà de ma conscience, alors ma plénitude n'en est que plus aisément habitable, car même mes exigences – depuis le lieu où je les ai abandonnées – sont rassurées, et elles me laissent d'autant plus tranquille. Je reste immobile, le regard accroché à la silhouette noire d'un oiseau, et la lumière qui se développe me fait mal aux yeux. Je baisse un peu les stores, comme on ferme la main sur un objet précieux.

 

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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 10:46

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Je suis passé à côté d'une école et tout s'est effondré. La lutte contre le temps, cette fois belle et bien perdue. L'espoir d'en saisir quelque chose, à jamais vain. L'aspiration d'arrêter durablement sa course, d'y comprendre quelque chose, objets résolument inaccessibles. Passer à côté du temple et pleurer de ne savoir comment rejoindre ce qui, en moi, peut sentir la vie et l'étonnement. La faim d'une spiritualité. L'absence de repos. Aucun lieu de paix, ni dehors, ni dedans. Ma promenade, toute de tristesse et de chaos. D'une solitude sans fin. D'un amour imparfait et limité. Et malgré la fraîcheur agréable de l'air, la beauté de la lumière matinale, malgré mon corps plutôt en bonne forme, le manque de sommeil peut-être, mais quelque chose qui mettait tout à sac. Nulle place pour une infime légèreté. Pour un peu d'humour. Pour un peu de joie, cachée au fond de mes yeux. Non, de la lassitude, de la fatigue, de l'embarras, de la peur, de la tristesse, de l'ennui, du vague à l'âme, de la douleur, de l'impuissance. Tant de lieux de souffrance ouverts en même temps. Ni le silence du jour férié, ni la lumière d'une aurore printanière, ni la brise légère, rien ne parvenait à réveiller l'once d'une clarté, d'un plaisir, d'une paix. Et dans ce préau, les échos d'une enfance si lointaine qu'elle ne laissait aucun doute sur l'irrémédiable perte. Pourtant, c'était encore de la vie. Toutes les mélancolies qui nageaient en molles anguilles dans mes veines, toute la maladie de cette âme en peine, de quelle posture venais-je à en nier la valeur vitale? N'étais-je pas encore vivant? De quel point d'arrimage pouvais-je décider qu'il fallait éviter cela, que cette étape n'était d'aucun sens? Mon sentiment de mort ne prenait-il pas racine en l'une des innombrables formes de ce qui pourrait n'être rien d'autre qu'une expression de la vie? Quel glissement se jouait à mon insu entre l'inconfort à vivre et le jugement d'une morbidité dont il faudrait se débarrasser?

 

 

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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 18:20

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Comme une dernière note. Un capo somptueux. Ce nuage immobile qui siège au milieu du ciel, offrant dans un dernier reflet rose, l'idée du couchant, de la beauté et du temps. D'autres se retirent déjà vers l'orée de la nuit, drapés d'un gris que le bleu du jour sublime. A l'heure qu'il est, je suis encore capable de les voir, ces objets du monde où j'ai pu naître. Je peux goûter à ce moment, doux et amer, tendre et inquiétant, d'une pénombre grandissante, d'un silence qui s'installe et semble pouvoir tout recouvrir de sa grande ombre. Je peux m'amuser de cette scène évocatrice des grandes fins. Je peux jouir des douleurs et des angoisses qu'elle caresse. L'effleurement des grands mouvements d'âme me procure un trouble, un sentiment d'existence. Et j'aime m'y griffer l'esprit, m'y rappeler la conscience. Ces quelques phrases et déjà le nuage n'est plus, ni sa lumière ni sa forme. Disparu. La note s'est éteinte, il ne reste que le souvenir de son écho. Il n'y a plus rien à voir, en comparaison. Si seulement j'avais pu dire tout ce que contenaient ces quelques minutes du passage, tout ce qu'elles ont provoqué de remous intérieurs. Mais c'est trop tard. Ou trop tôt. Et il s'y prend mal, sans doute, celui qui cherche trop, au lieu de se laisser chercher. Sans compter qu'à vouloir tout dire, je ne dis plus rien. J'envie l'art des nuages qui sans une parole éveillent en l'être tant de palpitations, l'art de ceux qui laissent au silence, au vide, la possibilité d'une éloquence bien plus grande que la mieux tournée de mes phrases. J'envie cela depuis longtemps. Mais il y a sans doute encore trop de contrôle en moi, pour laisser ce qui échappe à toute prise s'exprimer à travers ma personne. Je garde alors au secret d'un non-dit qui n'a pas pu être communiqué, les éraflures de ce nuage, si sage à mon sens. Récolte une dernière lumière puis s'en va, se laisse happer, abandonne chacun aux lectures sibyllines de son message

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