Hier, je n'avais je crois jamais ressenti cela, ce que j'ai ressenti hier. J'avais besoin de voir le soleil, de le regarder, de le sentir frapper mon visage. Il fait rudement froid depuis des jours, et le ciel est d'un gris monocorde, des nuages homogènes sur lesquels se distingue à peine des voiles violet, bleu ou jaune, très pales. Hier il faisait beau et je me sentais littéralement appelé par la lumière directe du soleil. En rentrant du travail, malgré le froid, je sentais un besoin viscéral d'aller marcher dehors et de trouver un coin où je pourrais me disposer sous les rayons solaires. Il en était à ses dernières lueurs quand je suis arrivé au pied d'une tour où j'ai pu m'adosser à un muret et exposer mon visage aux rougeurs orangées de son couchant. J'étais comme obsédé par cette nécessité de sentir le soleil caresser ma peau, de pouvoir le regarder dans les yeux. Surpris, étonné de ressentir cela, que ça s'impose à moi, que ça indique une nette préférence à tous mes mouvements. Il nous restait quelques minutes de muette conversation. Derrière moi, l'immeuble de béton, devant moi un rond point où les véhicules s'empilaient: à l'heure où l'on quitte le travail et rentre chez soi. Au loin, je devinais la silhouette d'une montagne, et je pouvais imaginer la plaine qui fut là, un temps. Une odeur de kérosène, le bruit de la circulation à travers mes écouteurs en lesquels se chamaillaient moteurs et piano, accélérateurs et oude. Ça puait, c'était bruyant. La plaine était silencieuse, on pouvait y entendre des oiseaux, et le bruit de l'eau qui s'écoule un peu plus loin. Une femme avait sorti son téléphone pour prendre une photographie du soleil à contre-jour, les profils des bus et des voitures se découpant noires sur le ciel métallique. Et le sens, et le sens de tout ça. Elles tournaient en rond, les voitures. Le soleil se couchait. La plaine avait disparu depuis longtemps. Et moi?